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Du papier toilette pour combattre le coronavirus ?

Malgré les informations rassurantes transmises par les fournisseurs, la peur d’une pénurie de papier toilette en début de confinement s’est répandue comme une trainée de poudre partout dans le monde, poussant une partie de la population à faire des stocks hors normes de ce produit devenu étrangement précieux. Comment expliquer ce type de comportement de masse qui paraît irrationnel ? Certaines recherches en psychologie cognitive et sociale peuvent nous aider à comprendre ces biais cognitifs qui nous poussent parfois à agir contre notre bon sens…

Les différents modes de pensées

Le psychologue Daniel Kahneman (lauréat du prix Nobel en économie en 2002) explique que nous avons tendance à utiliser par défaut un mode de pensée intuitif, rapide et automatique ; et que nous avons recours à une pensée analytique, qui tient compte de toutes les informations pertinentes disponibles, uniquement dans les cas où la pensée intuitive s’avère insuffisante. Ce fonctionnement permet d’économiser du temps et de l’énergie au quotidien, mais favorise également les biais cognitifs qui vont nous pousser à émettre des jugements erronés ou des conclusions hâtives.

Le mode de pensée intuitif est aussi adaptatif

La définition des différents modes de pensées ne sous-entend pas qu’il y aurait un « bon » mode de pensée basé sur l’analyse scientifique et rationnelle des évènements et un « mauvais » mode de pensée plus intuitif qui nous pousserait systématiquement à des erreurs de jugement.

En réalité, le mode de pensée intuitif est aussi très adaptatif : notre cerveau a développé des raccourcis mentaux pour atténuer l’incohérence du monde. Nous sommes confrontés à nos limites biologiques : nous n’avons pas les ressources nécessaires pour garder en mémoire et traiter toutes les informations auxquelles nous sommes exposé au quotidien. Notre cerveau corrige ce qui n’est pas clair ou ambigu, et comble les vides en créant une interprétation du monde qui ne tient pas compte de ces informations manquantes.

Prenons l’exemple de notre vision : l’endroit où notre nerf optique arrive sur la rétine crée un trou dans notre champ de vision car cet endroit n’est pas recouvert de récepteurs qui captent les informations visuelles comme sur le reste de la rétine. Notre cerveau complète ce manque d’information : il fait une déduction de l’image complète à reconstruire en prenant en compte les informations qui existent sur le contour de ce trou. Notre cerveau a cette propension à remplir et combler les manques de manière à nous fournir une perception cohérente du monde pour mieux fonctionner.

La psychologie évolutionniste explique que notre cerveau a développé ces raccourcis mentaux au cours de l’évolution, afin de favoriser notre survie. Au temps de la préhistoire, dans un environnement rempli de dangers et de prédateurs, notre cerveau a été habitué à faire des choix très rapides afin de se protéger, fuir ou se défendre. Pour avoir une meilleure chance de survie dans ce monde hostile, lorsqu’on voyait du sang par terre, il valait mieux s’imaginer rapidement que ce sang pouvait provenir de l’attaque d’un prédateur afin de préparer au mieux son organisme à se défendre contre ce potentiel prédateur.

Actuellement, la crise sanitaire nous met face à de nombreuses incertitudes. Notre analyse logique peut être mise à défaut car beaucoup d’informations échappent encore à notre compréhension du virus. Tout comme c’était le cas durant la préhistoire, notre cerveau peut se mettre en état d’alerte et privilégier la pensée intuitive à la pensée rationnelle afin de préparer notre organisme à réagir rapidement à cette menace. Nos émotions vont alors guider nos choix afin d’économiser de l’énergie et du temps. Nous serons plus susceptibles d’utiliser des raccourcis mentaux afin de supprimer les informations ambiguës, ce qui peut nous conduire à tirer des conclusions inexactes, par exemple en choisissant de croire à de fausses nouvelles.

Les rumeurs de pénurie de papier

C’est à ce moment qu’entre en scène la star de notre article : le papier toilette !

Tout commence par une rumeur non étayée, lancée sur les réseaux sociaux en Chine, selon laquelle le papier toilette serait fabriqué à partir des mêmes matériaux que les masques jetables, presque introuvables dans les pharmacies depuis le début de l’épidémie. Il est aussi dit que le stock de papier deviendrait insuffisant si les usines chinoises restaient fermées. Fleurissent également des instructions selon lesquelles il est possible de fabriquer des masques de protection à partir de serviettes en papier et de bandes élastiques. Dès le vendredi 28 février, ces rumeurs ont créé une pénurie de papier toilette dans certaines grandes villes du Japon. Cette panique a alors rapidement contaminé d’autres pays du monde.

Différents biais cognitifs mis en jeu dans cette peur panique de pénurie

Le biais de conformisme

Le biais de conformisme est la tendance à penser et agir comme les autres le font. En effet, Muzafer Shérif, un des fondateurs de la psychologie sociale, montre que face à une situation instable, les individus en groupe adoptent non pas leurs propres modèles mais un modèle construit par le groupe, faisant office de norme. En situation de stress, nos ressources pour prendre des décisions personnelles sont amoindries et nous allons privilégier la pensée intuitive. Ce mode de pensée va favoriser la solution « faire comme les autres », car l’autre solution « comparer les différentes options pour élaborer un choix personnel » sera évaluée comme une perte de temps précieuse dans un moment où le cerveau doit répondre rapidement au danger. En ce qui concerne la peur de la pénurie de papier toilette, on voit bien que le mouvement de panique a été engendré par une rumeur en Chine et au Japon. Ce comportement relayé par les médias a été reproduit par d’autres citoyens partout dans le monde, sans même qu’ils aient une idée claire de la rumeur à l’origine de ce mouvement. D’une manière générale, le contexte de pandémie actuel déstabilise nos émotions et offre un cadre idéal pour la propagation de « fake news » car beaucoup de personnes vont privilégier un traitement intuitif de l’information. Pour se rassurer, nous allons favoriser les informations qui proviennent de nos proches car nous les estimons fiables. De plus, le format court et simplifié de l’information partagée sur les réseaux sociaux offre une nourriture parfaite à notre pensée intuitive. Ainsi, les croyances dépendraient davantage des échanges sociaux que de l’observation et la raison.

La dissonance cognitive

Le concept de dissonance cognitive est introduit par le psychologue social Leon Festinger. Cette théorie a été découverte à la suite d’une catastrophe naturelle qui se produit en Inde en 1934. Après un terrible tremblement de terre, certains villages se retrouvent coupés du reste du monde pendant plusieurs jours. Dans l’un de ces village isolé se crée une rumeur qui prédit une réplique du séisme encore plus désastreuse que le séisme d’origine. Cette rumeur prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à devenir une vérité indéniable pour l’ensemble des habitants du village qui s’activent pour se protéger de cette réplique. En 1951, Leon Festinger s’intéresse à ce fait divers et part du présupposé que chaque individu est à la recherche d’un équilibre cognitif. Si cet équilibre est rompu, l’individu va ressentir un malaise qui va le pousser à rétablir cet équilibre. En clair, chacun cherche à accorder ses pensées avec ses émotions, ses ressentis, ses valeurs et ses actions. Si 2 de ces cognitions sont en désaccord (en dissonance), l’individu va chercher à modifier l’une de ces cognitions pour qu’elle soit en accord avec la 2ème. Dans le village indien, le premier séisme a créé une grande anxiété dans le village mais cette émotion n’a pas pu être calmée par les informations extérieures étant donné que le village était coupé du monde. Le niveau d’anxiété est resté très élevé plusieurs jours après le passage du séisme, sans qu’aucune raison présente ne vienne justifier une telle intensité de stress. Une dissonance cognitive entre l’émotion ressentie et la justification de cette émotion se crée. Etant donné qu’il est difficile de faire diminuer l’anxiété, la seule cognition qu’il est possible de changer est la justification de cette anxiété. Une cause justifiant l’intensité prolongée de l’anxiété est inventée et adoptée comme une nouvelle réalité. Il est tout à fait possible qu’une grande partie de la population ait ressenti ce même genre de dissonance cognitive au début de la pandémie. Etant donné qu’il est impossible de faire diminuer le niveau d’anxiété lié à la peur de la maladie de manière satisfaisante, certaines personnes se sont convaincues que cette anxiété était liée à la peur de la pénurie, contre laquelle il est beaucoup plus facile d’agir en allant acheter du papier toilette.

Peut-on faire confiance à son instinct s’il nous pousse à de telles erreurs de jugement ? Cela rejoint la question philosophique qui oppose l’instinct à la raison. En ce moment, on retrouve ce débat à travers la recherche de traitement contre le covid-19 : faut-il privilégier la méthode objective ou l’intuition subjective pour augmenter nos chance de trouver une solution ? Après tout, lorsque Archimède a dit « eurêka », son idée a émergé d’une intuition plus que d’un long raisonnement méthodologique. Certaines écoles de vol enseignent un mode de pilotage intuitif afin que, face à une situation exceptionnelle, une réponse originale du pilote basée sur les ressentis, les sensations, les émotions et le vécu puisse rapidement émerger. Chaque mode de pensée semble offrir des avantages et des inconvénients en terme d’adaptation, en fonction du niveau de danger de la situation. La solution ne serait-elle pas d’utiliser ces modes en complémentarité plutôt qu’en opposition ? Pourquoi devrait-on absolument les comparer ? On peut tout à fait essayer d’utiliser à la fois les ressources des personnes plus intuitives pour émettre des propositions  originales en cas d’urgence, et les ressources des personnes plus analytiques pour les vérifier.


Et vous ? Arrivez-vous à identifier les moments où vous êtes plus sensible au mode de pensée intuitif ou analytique ?  Vous est-il déjà arrivé d’agir d’une manière irrationnelle sous le coup de l’émotion? Ou au contraire, vous êtes-vous déjà senti indécis dans un moment où vous auriez eu besoin de réagir plus rapidement? Videz votre sac !

Régulièrement durant la crise sanitaire, je posterai des articles apportant un éclairage psychologique sur différents sujets liés à la pandémie du Covid-19.

Cet espace vous appartient : vous pouvez l’utiliser pour vider votre sac, me poser vos questions, me proposer des thèmes à aborder, me partager vos ressentis, inquiétudes, espoirs, idées, initiatives en lien avec l’épidémie à laquelle nous faisons face.

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